Le tapis roulant de features

Le 24/10/2025

De la feature factory à une culture produit : sortir du cycle infernal du delivery

Dans certaines entreprises, la réussite d’un produit est encore mesurée à la vitesse de livraison de nouvelles fonctionnalités. Une roadmap bien remplie est souvent perçue comme un signe de performance, et les Product Managers se retrouvent sous pression pour enchaîner les livraisons.

Mais livrer plus ne signifie pas livrer mieux. Beaucoup d’équipes produit tombent dans la Feature Factory : un modèle où nous construisons fonctionnalité après fonctionnalité, sans véritablement valider leur utilité ni suivre leur impact.

Résultat ? Des produits surchargés, une expérience utilisateur parfois dégradée, et des ressources gaspillées sur des features peu utilisées.

Sortir de cette logique demande un changement de mindset : passer d’une approche centrée sur la delivery à une approche centrée sur la valeur.

Comment identifier si votre entreprise est tombée dans ce piège ? Pourquoi ce modèle est-il toxique ? Et surtout, comment s’en sortir ? C’est ce que nous allons voir.

Les symptômes d’une Feature Factory

Quels sont les signes qui doivent alerter ?

Une roadmap centrée sur les livraisons et non pas sur les problèmes des utilisateurs
Si votre roadmap ressemble à une simple liste de fonctionnalités à développer, sans lien clair avec des problèmes identifiés chez les utilisateurs, c’est un signal d’alerte. Une roadmap efficace ne dit pas “Ajouter un dark mode”, mais plutôt “Améliorer le confort de lecture pour les utilisateurs nocturnes”.

Aucune métrique produit : le succès rime avec “nous avons livré la feature”
Si l’unique indicateur de réussite est la mise en production d’une nouvelle fonctionnalité, sans suivi de son adoption ou de son impact, il y a un problème. Un produit doit être piloté par des métriques comme l’activation, la rétention, la satisfaction des utilisateurs... pas par le nombre de releases.

Les Product Managers agissent comme des chefs de projet
Un PM qui passe ses journées à gérer des plannings, prioriser des sprints et organiser des cérémonies, mais qui ne parle jamais aux utilisateurs ni ne challenge les choix fonctionnels, est un PM qui fait de la delivery, pas du product management.

Ces symptômes montrent que l’entreprise confond délivrer et créer de la valeur.

Pourquoi ce modèle est toxique ?

Rester bloqués dans une Feature Factory peut avoir des effets dévastateurs à plusieurs niveaux.

Construire des choses qui ne sont pas utilisées
Si les fonctionnalités sont développées sans avoir validé l’hypothèse de valeur, nous prenons le risque de livrer des solutions dont personne ne veut. Selon une étude de Pendo, 80 % des fonctionnalités d’un produit logiciel sont rarement ou jamais utilisées. Un énorme gaspillage de ressources !

Frustration des équipes Produit et Tech
Quand les équipes Produit ne comprennent pas le pourquoi des fonctionnalités qu’elles développent, l’engagement risque de diminuer. Côté Tech, les développeurs se sentent exécutants plutôt que contributeurs à une vision produit.

Chez Le Figaro par exemple, les développeurs participent aussi aux tests utilisateurs, ce qui leur permet de mieux comprendre les besoins et d’être plus engagés dans la construction du produit.

Impact business limité malgré des efforts considérables
Un backlog rempli ne garantit pas la croissance. Une entreprise peut déployer des centaines de fonctionnalités sans que cela ne se traduise par une augmentation de la satisfaction ou du revenu.

En 2020, Twitter a lancé Fleets, une fonctionnalité de stories éphémères, calquée sur Instagram et Snapchat. Faute d’adoption, Twitter a retiré la fonctionnalité moins d’un an plus tard. Une démonstration de l’échec d’une approche purement “Feature Factory”.

Créer de la valeur ne signifie pas livrer plus, cela signifie livrer mieux !

Les étapes pour sortir de la logique Feature Factory

La solution ? Passer d’un modèle de delivery à un modèle orienté impact. Cela implique de repenser la roadmap, les processus et les indicateurs de succès.

Étape 1 : Passer d’une roadmap constituée d’outputs à une roadmap orientée outcomes

Plutôt que de planifier des fonctionnalités spécifiques, nous devons structurer la roadmap autour des problèmes utilisateurs à résoudre.

En changeant de logique, nous laissons plus de place à la recherche, aux tests et aux itérations avant de construire.

Étape 2 : Intégrer la discovery en continu

La discovery ne doit pas être une phase isolée en début de projet, mais un processus continu. Cela passe notamment par : 

- L’exploitation des données : analyser les métriques pour comprendre ce qui fonctionne déjà et identifier les opportunités d’amélioration.

- Les tests utilisateurs : avant de développer une fonctionnalité, valider qu’elle répond bien à un besoin réel.

- L’expérimentation (A/B testing) : tester des modifications mineures pour mesurer leur impact avant d’engager des ressources sur du développement. Par exemple, Booking mène plus de 25 000 tests A/B tests par an. Chaque détail est testé pour améliorer l’expérience utilisateur sans nécessairement ajouter de nouvelles fonctionnalités.

Étape 3 : Changer les KPIs : passer de “nous avons livré” à “nous avons généré un impact”

Une transformation réussie repose sur des indicateurs adaptés, centrés sur la valeur générée pour l’utilisateur et pour l’entreprise. 

Un produit n’est pas une ligne de production. Se focaliser uniquement sur le nombre de fonctionnalités livrées revient à confondre exécution et impact. À l’inverse, en choisissant des KPIs qui mesurent la valeur réellement apportée aux utilisateurs et au business, nous nous assurons que chaque effort contribue à un résultat tangible.

Conclusion

Abandonner la Feature Factory ne signifie pas arrêter d’innover, mais repenser comment et pourquoi nous construisons.

→ Une roadmap qui adresse des problèmes, pas une liste de features.
→ Une discovery permanente pour ne pas construire de fonctionnalités inutiles.
→ Un changement d’indicateurs pour mesurer l’impact et non la production.

“Faire” est facile. “Penser” est plus difficile. Mais c’est le seul moyen de réellement créer de la valeur pour le produit.

Sources

Malory Reinhardt, Head of Product 

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